8 mars: Journée internationale des droits des femmes. Rencontres.

Alexandre Lopez Vela

L'égalité des genres est un concept fondamental, affirmant que les femmes doivent bénéficier des mêmes droits, opportunités et connaissances que les hommes. C'est également la reconnaissance que les femmes ont un rôle crucial à jouer dans la société et dans la résolution des problèmes sociétaux. Engagés à briser les obstacles persistants, nous nous efforçons de promouvoir cette égalité.

Pourtant, malgré sa simplicité, l'atteinte de l'égalité des genres reste un défi de taille. Aucun pays ne peut se vanter d'y avoir pleinement réussi, et selon les projections de l'UNESCO, il faudra encore près de trois siècles pour y parvenir à l'échelle mondiale. Pendant ce temps, les avancées de l'intelligence artificielle risquent de priver davantage de femmes que d'hommes de leurs emplois d'ici la fin de la décennie, d'après les données disponibles. De même, la crise climatique menace de plonger 160 millions de femmes dans la pauvreté d'ici 2050. 

Chaque année, le 8 mars, nous marquons la Journée internationale des droits des femmes pour sensibiliser le public à ces enjeux et promouvoir le changement.

Nous avons pu rencontrer quatre personnes FSF en 2021 et 2024 (des femmes* qui ont des relations affectives, amoureuses et sexuelles avec d'autres femmes*) qui ont partagé leur expérience autour des thématiques des luttes des mouvements féministes.

Lucie, June, Constance et Elise nous partagent ainsi leur ressenti face à cette journée, mais aussi face aux luttes qu'elles mènent tous les jours pour se faire entendre.

Bonjour à toutes ! Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

June: Je m’appelle June et j’ai 31ans. J’utilise le pronom « elle » et les accords au féminin. Je suis une femme cis donc ce pronom ont toujours été les miens, bien que je ne me définisse jamais vraiment par mon genre qui est plutôt fluide. Le pronom« iel » serait probablement plus pertinent pour moi mais pour le moment je garde mon pronom « elle » parce que je suis attachée à la petite fille que j’étais ainsi qu’aux modèles féministes qui ont façonné ma perception du genre. 

Je suis sociologue et militante. Les deux me semblent d’ailleurs aller logiquement de pair et les deux impliquent naturellement une intersectionnalité dans les luttes et dans leur analyse. Je suis féministe mais je suis aussi antifasciste et animaliste. Pour moi, c’est logique de se positionner en opposition à toutes les structures de domination si l’on veut contribuer à la construction d’une société égalitaire.

Constance : Je m'appelle Constance, j'ai 29 ans et je réside à Liège. Je suis consciente de mes privilèges liés à ma blanchité, mes études, mon origine sociale, et bien d'autres aspects. Je suis également bisexuelle (jusqu’à ma prochaine remise en question) et engagée en tant que féministe. Mon travail se déroule au sein d'une association militante, où je m'investis activement, ainsi que dans divers collectifs défendant les droits des femmes, des personnes queer et LGBTQIA+, le droit au logement, la lutte antifasciste, ainsi que les droits des personnes migrantes, entre autres. 

Elise *: Bonjour, je m'appelle Elise, mes pronoms sont elle. J'ai 29 ans et je suis guide touristique. Actuellement, avecla situation Covid, j’ai repris une formation en game développeuse. Je vis àLiège et je viens de déménager, mais j’habitais auparavant à Bruxelles.

Lucie *: Je m’appelle Lucie. Le pronom que j’utilise est “elle”. J’ai 25 ans, je suis une femme blanche, lesbienne, grosse, féministe et je suis agente d’insertion dans un service d'insertion socio-professionnelle d’un CPAS à Bruxelles.

Que représente la journée du 8 mars pour vous ?

June : Le 8 mars est souvent détourné de son véritable objectif de journée internationale de lutte pour les droits des femmes en faveur de profits capitalistes réduisant les femmes à des consommatrices de fleurs et de soutifs (qui leur seraient d’ailleurs offerts par des hommes puisque notre système est hétéronormatif). Toute cette longue phrase pour dire qu’en fait, pour moi, il est important de rappeler la véritable raison d’existence de cette journée. Dans le monde entier, malgré des années de luttes ininterrompues, les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes, souffrent des clichés sexistes, sont victimes de violences sexuelles et de féminicides. Idéalement en fait, cette journée ne devrait pas avoir à exister, mais tant qu’elle existe, elle doit servir à dénoncer les discriminations et la violence dont les femmes sont systématiquement victimes. 

Constance : Pour moi, le 8 mars revêt une importance capitale en tant que journée dédiée à la visibilité des luttes pour les droits des femmes et des personnes sexisées à l'échelle internationale. C'est une occasion de faire le bilan des droits acquis par la loi et de ceux obtenus dans la réalité (ces deux aspects ne progressent pas toujours simultanément), de réfléchir à l'évolution des mentalités, aux réalités vécues par les femmes* à travers le monde, et de prendre conscience de l'ampleur des défis qui restent à relever. 

 Personnellement, chaque année, je participe à la grève des femmes* et à diverses actions à Liège ou ailleurs pour promouvoir ces combats et œuvrer toujours davantage vers l'égalité et la justice. J'essaie de diversifier mes actions d'une année à l'autre et de ne pas me limiter systématiquement à la grande manifestation deBruxelles, bien que celle-ci reste toujours extrêmement empouvoirante ! Cette année, je vais rejoindre ma chorale féministe pour une tournée dans les maisons médicales le vendredi, puis participer à une manifestation à vélo à Liège (laPiraterie), ainsi qu'à un concert le 9 mars à Verviers. Tout au long de la semaine, je m'efforce également de participer à des événements culturels organisés par diverses associations en lien avec la journée du 8 mars. En somme, cette journée et les événements qui l'entourent revêtent une grande importance dans ma lutte. 

Elise : Le 8 mars, pour moi, c’est la journée internationale des droits des femmes. C’est une journée qui malheureusement existe et doit exister. Dans le sens où, les mouvements féministes existent depuis bien longtemps et les femmes depuis encore plus longtemps. Pourtant, il n’y a toujours pas une égalité de droits, que cela soit en Belgique, en Europe ou dans le monde entier en général. Il n'y a pas une journée des droits des Hommes parce qu’ils ont déjà tous ces droits, et c’est dommage que nous ayons une journée comme ça en 2021, mais c’est nécessaire.

Lucie : Alors, pour moi, le 8 mars, c’est une journée de lutte, de sororité et de rencontres aussi.

J’ai eu l’opportunité de me rendre à la dernière manifestation qui a été organisée, et c’était très chouette. J’en garde un très bon souvenir. J’ai pu retrouver plein de gens que je connais - comme c’est souvent le cas dans les manifestations. Il y avait une ambiance très agréable. Et puis, surtout, nous sommes là, car nous sommes en colère et que l’on veut se faire entendre.

Est-ce que vous vous sentez à votre place dans les luttes féministes en tant que personnes FSF ?

June : À la base et en théorie, oui, totalement. Je m’inscris dans la continuité du courant identifié par la sociologie comme « féminisme matérialiste ». Cependant, aujourd’hui, en tant que personne bi, il m’est parfois difficile de me sentir totalement légitime. Le féminisme radical auquel je m’identifie est inclusif. C’est-à-dire qu’il s’oppose naturellement aux discriminations telles que celles propagées par les TERF ainsi qu’à la hiérarchisation des femmes entre elles selon qu’elles soient cis, trans, inter ou selon leur orientation sexuelle.Cependant, je souffre de plus en plus souvent de biphobie de la part de femmes estimant que seules les lesbiennes sont de vraies féministes. En tant que personne relationnant aussi avec des hommes, j’entends parfois dire que je suis « captive du patriarcat ». Aussi, certaines femmes avec lesquelles j’ai relationné m’ont objecté que si j’avais des rapports sexuels avec des hommes, je finirais par être « en manque de bite » et ça servait de prétexte à me jeter comme si j’étais « impure ». Le sentiment que j’ai eu, c’était d’être moins valable à la fois en tant que féministe et entant qu’amoureuse. Je me suis aussi sentie très incomprise parce que quand j’aime une personne, c’est pour ce qu’elle est et pas par comparaison avec ce qu’elle n’est pas. Il m’est aussi arrivé d’entendre que je devrais arrêter d’avoir des relations sexuelles avec des hommes pour « devenir lesbienne » or pour moi, le féminisme consiste justement à intégrer toutes les femmes sans vouloir les changer. 

Constance : Évidemment !   

Il est indéniable que de nombreuses facettes des luttes féministes sont liées à l'impact de l'hétérosexualité sur les femmes et les personnes sexisées. En tant que personne bisexuelle en relation avec une personne non binaire, ces combats ne me touchent pas toujours directement.Cependant, cela ne signifie pas que je ne me sens pas concernée par les luttes féministes. Au contraire, je considère que les questions d'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les diverses oppressions présentes dans les relations hétérosexuelles, demeurent importantes même si je ne les ai pas (ou plus !) vécues directement. De nombreux autres enjeux des luttes féministes me touchent, et au sein des collectifs auxquels je participe, je me sens pleinement à ma place en tant que femme, personne bisexuelle (mais pas que!). Je suis convaincue que ma voix compte dans ces débats. 

Elise : Oui, dans la plupart des mouvements féministes. Je m’estime être féministe, je suis bisexuelle et trans.Donc, dans la plupart des groupes féministes, je me sens à ma place.

J’ai pu discuter avec pas mal de personnes de milieux différents,  mais il y a toujours certaines organisations/mouvements féministes qui sont TERF (Trans Exclusive Radical Feminists), c’est à dire des féministes qui excluent les personnes trans*.  Lorsqu’on est un homme trans*, les arguments que les TERF avancent c’est qu’ils ont renié le fait d’être une femme et qu’ils ont de ce fait, acquis des privilèges. Lorsqu’on est une femme trans*, comme c’est mon cas, c’est parce que j’ai été éduquée en tant qu’homme, donc j’ai eu des privilèges et certains avantages par le biais de mon éducation, que j’ai encore pour certains points, mais pas beaucoup, comme le fait de s’exprimer en public ce sont dans tous ces cas, des points qui posent problème aux TERF.

Lucie : Je me sens à ma place, oui. Est-ce que j’ai toujours eu ma place ? Cela a été compliqué.

J’ai commencé à être militante en bossant en tant qu'administratrice d’une association LGBT, à Liège. Au début, c’était super chouette. J’ai découvert et appris plein de trucs. Cela m’a aussi permis de rencontrer une multitude de personnes. Cependant, petit à petit, je me suis rendu compte que le terme féministe n’était pas un “gros mot” et qu’il y avait derrière ce terme des concepts très basiques à comprendre. Du coup, ça coulait de source pour moi, alors, de me revendiquer comme féministe et de me battre pour les luttes féministes.

Et plus j’avançais vers cette idée-là, plus ça devenait compliqué, en fait, au niveau de l’association. Ce n’était pas très bien reçu que j’essayais de me battre pour faire changer les choses.Malheureusement, dans tous systèmes, quand des choses sont établies, il est difficile de les faire bouger. De plus, les gens veulent garder à tout prix leurs privilèges.

Mais du coup, après, comme je le mentionnais avant, je me sens à ma place en tant que femme lesbienne dans les mouvements féministes.J’ai juste compris que je devais trouver ma place, et que si je ne me sentais plus à ma place, c’est qu’il était temps de bouger.

Quand je me suis rapproché du féminisme, je me suis dit qu’il était temps que je ne rigole plus aux blagues sexistes, racistes, homophobes, psychophobes, etc. Et, c’est là que c’est devenu compliqué, car j’étais un peu vue comme celle qui cassait l’ambiance. Ensuite, je suis devenue bénévole pour le GrIS Wallonie-Bruxelles. J’ai pu faire plusieurs interventions scolaires, et ça m’a permis de quitter aussi l’autre association où je ne me sentais plus très bien.

Ensuite, j’ai atterri chez Go To Gyneco, et j’y suis toujours. Je m’occupe de leur communication.

Là, je suis contente de l'endroit dans lequel je me trouve.

J’ai également lancé un collectif avec des amies, c’est un collectif body positif/féministe afin de créer des projets photos safe ensemble. Ce collectif s’appelle ENCORPS COLLECTIF.

Après, selon moi, le féminisme est quelque chose de la vie de tous les jours. En découvrant le féminisme, j’étais contente. Puis je me suis rendu compte que le féminisme est très centré blanc, jeune. Et c’est là que je me suis dit que ça n’allait pas. Tu ne peux pas être dans un féminisme si fermé. Ce n’est pas comme ça qu’on avancera.

Pourquoi est-il important qu’il y ait des personnes FSF au sein des luttes féministes ?

June : Pour les mêmes raisons que ce que je disais juste avant : parce qu’il me semble que le féminisme doit représenter toutes les femmes. Quelle que soit leur orientation sexuelle, leurs caractéristiques sexuées ou leur identité de genre. Et puis, même si je faisais part de la biphobie dont je suis régulièrement victime, je crois que c’est quand même minoritaire. Globalement, en dehors du monde militant, quand on parle de féminisme, l’opinion publique voit les femmes hétérosexuelles. Les femmes lesbiennes et bi sont soit fétichisées soit invisibilisées dans la société en général mais aussi dans l’imaginaire des luttes féministes. Et si elles ne sont ni fétichisées ni invisibilisées elles sont amalgamées et victimes de clichés. Par conséquent, cette inclusion des FSF dans les luttes féministes est surtout très importantes en termes de visibilité. C’est rappeler qu’on existe et que le mouvement féministe est pluriel. 

Constance : Les personnes FSF se trouvent, au sein de notre société, dans une position où se croisent la misogynie et l'homophobie (et parfois d'autres formes d'oppressions en plus). Pour moi, les luttes des personnes FSF pour la reconnaissance et le respect de leurs identités sont indissociables de celles des luttes féministes, même si elles ne se rejoignent pas entièrement sur tous les points. 

De nombreux sujets féministes touchent également, voire davantage dans certains cas, les FSF : les violences sexistes et sexuelles, la sexualisation, l'invisibilisation des femmes* dans la société, les connaissances en santé sexuelle, l'égalité au travail, et bien d'autres encore. Tous ces grands thèmes des luttes féministes concernent les FSF, donc il est crucial d'écouter également leur voix au sein de ces luttes. 

Historiquement, les FSF ont contribué à faire évoluer le mouvement féministe en apportant leurs perspectives différentes sur les rapports avec les hommes et sur leur non-hétérosexualité.Cela s'est manifesté au sein du MLF, le Mouvement de Libération des Femmes, quia marqué le féminisme français : une partie de ses membres étaient des lesbiennes, dont le point de vue a permis de mettre en lumière les inégalités rencontrées par les femmes hétérosexuelles au sein même du mouvement.Aujourd'hui encore, les luttes bi/pan/lesbiennes demeurent liées au féminisme, et la place des FSF au sein du mouvement féministe reste importante et doit être revendiquée. 

Elise: C’est important pour la diversité.Il est nécessaire dans les mouvements féministes, qu’il y ait des personnes bi, trans*, lesbiennes, racisé·e·s, de plusieurs cultures et religions... Ce n’est donc pas juste important en tant que FSF, c’est important pour la diversité de manière générale. Pour avoir aussi différents points de vue, car les discriminations que subissent les femmes lesbiennes ou bi, sont différentes par rapport aux femmes hétérosexuelles.

Par exemple, le fait d’être en rue, pour un couple entre deux femmes peut amener à un harcèlement de rue basé sur la fétichisation des “couples lesbiens”. C'est-à-dire qui se réfère à l’idée qu’il est possible de demander et d'insister pour faire un plan à 3.

Il y a différentes luttes et combats, le féminisme doit selon moi pouvoir aborder toutes ces problématiques et toutes ces thématiques.

Lucie: Les enjeux sont différents. Chaque personne apporte un nouveau point de vue, et c’est aussi valable pour les personnes FSF. Si on reste dans un féminisme hétéro, il y aura des choses qui manqueront tout simplement.

C’est un truc que je peux voir dans le cadre de Go to Gyneco quand certains médecins disent qu’ils/elles accueillent tout le monde, mais refusent d’être recommandé.e par notre réseau en tant que professionnel.le de la santé recommandé.es par la communauté. Or, c’est super important de savoir qu’il y a ce caractère « safe », car les personnes FSF ont des spécificités par rapport aux autres. Il y a d’autres choses à prendre en compte comme le fait que l’on soit moins suivies gynécologiquement, du coup ça a un énorme impact. Si nous recevons des remarques négatives après une visite, nous risquons de ne plus y retourner. Alors que les suivis sont importants, car il ya les dépistages des cancers du sein, du col de l’utérus, etc qui se font chez lae gynéco puis il y a des IST que l’on peut choper. Les personnes qui ont une vulve et qui ont des relations sexuelles avec d’autres personnes qui ont une vulve vont moins chez lae gynéco (soit parce qu’iels pensent qu’iels n’en ont pas besoin à cause d’un manque d’éducation sexuelle soit parce qu’iels ont vécu des mauvaises expériences chez un.e autre pro de santé) et donc ont plus de risques d’être sous-diagnostiqué.es. Du coup, oui, les enjeux sont différents et il faut être capable d’accueillir aussi ces publics avec une manière bien spécifique et adaptée.

Dans les luttes féministes actuelles, nous constatons que l'intersectionnalité fait de plus en plus défaut, comment vous positionnez- vous face à ce postulat ?

June : Je suis à la fois d’accord et pas d’accord. Je crois qu’en théorie, les luttes féministes se positionnent de facto en faveur de l’intersectionnalité. C’est du bon sens d’inclure toutes les femmes et de prendre en compte toutes les structures en couches qui font des luttes féministes les points de pivot de multiples enjeux. En théorie toujours, on comprend bien que certaines femmes sont victimes plusieurs fois c’est-à-dire de systèmes d’oppression différents. C’est le cas entre autres pour les femmes trans et les femmes racisées. Or, en pratique, si je reprends ces deux exemples, on constate à la fois la montée de mouvements féministesTERF et la présence minoritaire des femmes racisées dans les luttes féministes.Je pense donc que ce constat de terrain souligne l’importance pour les sciences humaines de mener davantage de recherches et de produire davantage de savoir sur le féminisme trans et sur les intersections entre sexisme et racisme pour ne reprendre que les deux exemples que j’ai cités précédemment. Bien sûr, et bien malheureusement, il y a encore de nombreux terrains qui nécessitent un travail de lutte et de recherche accru. Mais je crois que si la recherche permet de faire émerger les intersections entre les différentes formes de domination et que le monde politique et social embraye le pas, nous augmenterons nos chances de passer de la théorie à la pratique.

Constance : Comme c'est le cas dans l'ensemble de la société, il est indéniable qu'au sein des mouvements féministes, les personnes qui sont confrontées à plusieurs formes d'oppressions sont souvent invisibilisées. Souvent, les segments plus institutionnalisés de ces mouvements ne prêtent pas suffisamment attention à l'inclusion des identités opprimées diverses. À mon sens, il y a un travail important à accomplir pour mettre en lumière différentes communautés qui pourraient bénéficier du féminisme : les femmes racisées, les travailleuses du care (dans les domaines des soins de santé en général, du nettoyage, de l'enseignement, de l'aide sociale, etc.), les travailleuses précaires, les mères célibataires, et bien d'autres. 

Une véritable réflexion inclusive sur les actions à entreprendre et les revendications à porter est indispensable pour toute collectivité engagée dans la lutte pour les questions féministes. 

Elise: L’intersectionnalité est importante car justement il y a différentes luttes. On ne subit pas les mêmes discriminations en tant que femme cis, femme hétéro, femme bi, femme lesbienne, femme racisée… Il y a différents types de discriminations qui peuvent apparaître et parfois “se combiner”.

Je trouve donc que l’intersectionnalité est importante et qu’il faut que cela soit un point d’attention au sein des mouvements ou des organisations féministes et je comprends les mouvements et organisations non-mixtes. Par exemple, le fait que je sois trans*, j’ai été dans des groupes et des mouvements où on s’attarde juste sur le fait d’être trans*. Car cela induit certaines discriminations, qui ne peuvent être discutées qu’avec des personnes concernées. Cela a plus de poids et plus d’impact au niveau des revendications sur cette thématique et pour lutter contre ces discriminations.

Les groupes féministes, les groupes intersectionnels qui se rassemblent pour lutter contre les discriminations entre les hommes* et les femmes*, et les groupes non-mixtes sont complémentaires et nécessaires. L’un·e travaille pour que toutes les femmes* aient les mêmes droits que ceux existant pour les hommes. Concernant les groupes non-mixtes, ils travaillent plus spécifiquement sur les droits de femmes qui subissent d’autres discriminations que celles d’être une femme. Comme par exemple les femmes trans*et/ou racisée.

Lucie : Je pense que c’est méga important que l’on se rassemble et que l’on s’écoute entre nous, et ainsi se rendre compte qu’il y a des vécus complètement différents.

On finit toujours par se regrouper. Le problème, c’est que, de manière générale, on ne s’écoute pas et on préfère voir les choses qu’à travers nos propres lunettes et on n’essaye pas toujours de se mettre dans les baskets des autres. Du coup, on ne se rend pas compte que les luttes des autres rejoignent les nôtres. On ne peut pas dire que nous sommes “féministes” avec un discours tel que “les femmes trans ne sont pas des femmes”. Cela n’a aucun sens.

Il y a aussi des questions d’oppressions. Je me rends compte dans certains projets que les femmes présentes sont toutes blanches.Nous sommes clairement toutes privilégiées comparées à la plupart des femmes racisées par exemple qui vivent d’autres réalités que la mienne. Et je comprends, du coup, que les femmes racisées se réunissent entre elles parfois, car elles peuvent retrouver ce système d'oppression face aux personnes blanches. Le résultat de tout ça, c’est que, parfois, elles ne se sentent pas toujours safe car elles sont face à des gens à qui elles doivent expliquer les spécificités de leurs luttes alors que ça devrait être l’inverse: ce sont les femmes blanches qui devraient se renseigner sur les autres luttes et ainsi créer des espaces safe pour toutes les spécificités qui existent dans notre société.

En tant que femme lesbienne, blanche, privilégiée et éduquée, je me rends compte que mes réalités diffèrent fortement de celles de mon épouse par exemple. Elle est migrante et originaire du Pérou. Il y a des choses que j’ai normalisé à travers mon parcours, et elle en a normalisé d’autres. Mais ce que je trouve intéressant, c’est qu’on parvient à se rassembler et à s’écouter. Puis, de finalement se dire: “tu es experte de ton vécu, tu sais mieux que moi”. Il y a une réelle richesse derrière tout ça.

* NB : Les renseignements fournis par Elise et Lucie remontent à l'année 2021.

Retour